L'un des rapports publiés par l'Éducation nationale porte sur les lacunes de la première école. Inquiétant.
Par MARION COCQUET
De grands principes, de nobles discours, une bonne volonté incontestable. Mais des maladresses répétées et des insuffisances qui contribuent à rouiller le dispositif. Voire, parfois, à le rendre néfaste. Dans les maternelles françaises, l'enfer semble pavé de bonnes intentions. C'est du moins ce qui ressort du long rapport qui leur était consacré en octobre 2011 et qui, avec seize autres également tenus secrets jusqu'à aujourd'hui, vient d'être rendu public par le nouveau ministre de l'Éducation, Vincent Peillon. L'enquête portait avant tout sur l'acquisition de la langue française et du langage. Et le constat est sévère.
Premier (et gros) point noir : la pédagogie de l'oral. Le silence a beau être perçu comme "problématique" dans les classes, les enfants ont beau être sollicités, les pratiques, estiment les auteurs de l'étude, sont souvent maladroites. La prise de parole est ainsi très souvent guidée par le maître, au risque de se réduire à une série de questions (fermées) - réponses (désordonnées), en groupe. "Tout se passe, explique un inspecteur, comme si faire s'exprimer l'élève signifiait le rendre capable de répondre aux questions devant les autres. L'objectif est clairement quantitatif (savoir prendre la parole souvent) ; il est clairement social (devant tous)." Problème : cette configuration masque l'hétérogénéité des savoirs et des progressions. Et tend, en outre, à entraver les échanges entre les enfants, d'autre part.
Des pratiques décousues
Car c'est là que, selon le rapport, le bât blesse. Il importe de donner aux petits l'envie de s'exprimer, et le moyen d'accéder à un univers (donc à un vocabulaire) plus vaste et plus riche que celui du cercle affectif qu'ils connaissent déjà. Or, l'école organise trop peu de situations capables d'éveiller la curiosité et l'élaboration progressive du discours. Pire, affirme le rapport : les échanges sont souvent décousus et peu compréhensibles, les erreurs et les approximations des enfants ne sont pas corrigées... et les maîtres usent parfois eux-mêmes de formules incorrectes. "La présence diffuse du langage oral, à tel point que certains enseignants [disent] y passer tout leur temps parce qu'il y a du langage partout, leurre : des pratiques réelles mais aléatoires ne peuvent tenir lieu d'enseignement", expliquent les inspecteurs.
Même constat pour le langage "d'évocation", celui où l'enfant, pour parler d'une situation ou d'une action éloignée dans le temps ou l'espace, est amené à structurer son propos, et à élaborer un récit. Ce domaine, que les programmes demandent aux maîtres de travailler, fait souvent l'objet, là encore, d'une activité d'ensemble, encadrée à l'excès par les questions du maître : "L'enseignant, par sa façon de guider, amène les enfants à ordonner un discours collectif dont lui seul a conscience, chaque enfant étant engagé pour une bribe seulement." En matière de compréhension du langage, les lacunes sont identiques. Tout se passe, explique le rapport, comme si l'école maternelle avait une foi absolue dans l'"imprégnation" : "Si les enfants entendent parler, ils sauront parler et s'ils entendent des histoires, ils auront une culture littéraire"... Insuffisant.
Une maternelle "primarisée"
À qui jeter la pierre ? Le rapport insiste sur l'importance d'une formation pédagogique spécifique pour les maîtres et les inspecteurs. Il évoque, sans en faire le détail, un manque de moyens humains. Mais il souligne, surtout, la nécessité d'un lien plus fort entre la maternelle et les autres structures d'accueil de la petite enfance. Une telle collaboration, déjà existante dans plusieurs pays européens, permettrait de revenir en partie sur la "primarisation" de la maternelle.
Car le fond du problème est peut-être là : la première école tend aujourd'hui, petite et moyenne sections comprises, à s'orienter vers l'acquisition et l'évaluation de savoirs et de "postures d'élève"... une structure "préscolaire" souvent inadaptée à son public, et qui tend à pénaliser les enfants les moins favorisés, estime le rapport. Ainsi, les activités de création et d'imagination sont minorées, au profit de manipulations de mots et de chiffres parfois excessivement formalistes. Pour autant, les inspecteurs "ne considèrent pas qu'il faut renoncer à être exigeant, précisent-ils en conclusion. Si l'école maternelle est école, c'est parce qu'elle se veut un lieu de stimulations et d'activités à visées éducatives, un moment de prévention et de mise en place des bases de l'égalité des chances." Reste désormais à Peillon à ouvrir le chantier.