... 4/ Quelques principes de la méthode alphabétique :
A/ On ne devine pas. C’est un principe énoncé aux élèves dès le début,
et qui sera effectif dans la pratique. Donc les mots doivent être lus
jusqu’au bout, et c’est uniquement le déchiffrage qui valide la lecture
des mots.
B/ Les mots proposés aux élèves sont déchiffrables. Les mots outils
(est, une, un…) sont limités au strict minimum tant qu’ils ne peuvent
être déchiffrés et ne sont pas mémorisés au hasard des rencontres, mais
dans le cadre d’une progression (ex. : les déterminants au pluriel :
les, des , ses…).
C / La progression dans l’étude du code est rapide.
Ce principe est essentiel pour deux raisons :
- Le nombre de graphèmes en français : 133 graphèmes et sous graphèmes.
Si on veut étudier les graphèmes principaux au CP, il faut avancer au
rythme d’environ 3 graphèmes par semaine (et jusqu’à 4, de la rentrée à
mi-octobre), en prévoyant des jours de révision, et des moments où la
progression est ralentie, pour travailler les confusions, approcher les
structures de la langue. C’est en travaillant les graphèmes, les
confusions, les difficultés de déchiffrage avec les enfants qu’on se
rend compte qu’ils doivent êtres travaillés pour eux-mêmes, de façon
explicite, et non « à la volée », qu’ils demandent du temps pour être
maîtrisés. Une collègue s’étonnait que je fasse travailler la confusion
« an » / « a-ne » (comme dans « ba-na-ne ») et me disait : « mais c’est
le sens qui permet de savoir si c’est « ane », ou « an » ». Mais si le
« sens », c’est ne pas être sûr d’un mot par ligne, cela s’appelle
laisser des pièges et des obstacles… qui empêchent précisément de se
concentrer sur le sens ! Il est important d’enlever le plus de
difficultés de déchiffrage possible, pour continuer à ne pas laisser la
place à la devinette et tout simplement pour que la lecture devienne
facile et assurée, pour que l’enfant aille au-devant de tous les mots
d’un texte.
- Il est essentiel de progresser rapidement dans l’étude des graphèmes
pour une deuxième raison. Il y a eu une perte de repères sur ce dont est
capable un enfant, qui fait que la progression de 3 graphèmes par
semaine sera jugée trop rapide. Or c’est justement en ayant plus de
« matière sonore » que l’apprentissage du code est facilité. C’est une
gymnastique auditive, visuelle qui fonctionne par accumulation, habitude
et comparaison. Au bout d’une semaine que l’on travaille exclusivement
sur la lettre a… on ne l’entend plus ! Mais on peut le lundi de la
rentrée faire « i » et « u », le mardi, « a » et « o », le jeudi « l »,
et lire « li », « lu », « la », « lo », le vendredi « s », et donc lire
8 syllabes, et les mots « salut », « sali », « lasso », etc. Quel
intérêt et quels repères sonores et visuels peut-on trouver en combinant
avec la seule lettre m au bout d’un mois de CP ? Il est bien plus
« ludique » et bien plus commode, plus structurant, d’acquérir une
souplesse auditive et visuelle en combinant avec l, s, r, v, t, f, ch,
m, n et avec toutes les voyelles au bout d’un mois de CP. C’est la
discrimination des sons entre eux et des lettres entre elles qui donnera
à l’enfant assez de matière pour asseoir ses repères. Rien n’empêche de
revoir les lettres après, et d’aller au-devant des confusions, en les
traitant de façon systématique. Les enfants ne s’ennuient pas : ils ont
l’impression d’apprendre vraiment et rapidement ( et demandent chaque
matin : « on fait quelle lettre aujourd’hui ?»). L’apprentissage de la
lecture ne leur paraît pas infini, comme lorsqu’ils ont l’impression
qu’il faut deviner puis mémoriser tous les mots dont chacun est
considéré comme un cas particulier.
D/ Un texte lu n’est pas retravaillé le lendemain, ce qui est
fastidieux et revient à faire apprendre par cœur. C’est chaque jour un
texte nouveau qui est lu, puis interrogé dans sa compréhension,
contrairement à la méthode mixte qui opère un découpage entre séances de
lecture-découverte et séances d’appropriation sur le même texte.
E/ Différents sens sont sollicité dans les apprentissages :
Le lecteur expert paraît ne mobiliser que sa vue, mais il faut replacer
l’apprentissage de la lecture dans le cadre d’un apprentissage
sensualiste (de type Montessori). Dans le global, c’est uniquement l’œil
qui est sollicité, dans le mixte, l’oreille et la bouche sont mal
préparées à s’exercer, et souvent on demande aux enfants de lire
silencieusement. Dans l’alphabétique, l’enfant entend, voit, prononce,
écrit, et trouve une cohérence entre ces différents « sens » du langage,
qui peut avoir valeur de réparation pour certains enfants. Audition,
vue, parole, mouvement du geste d’écriture : c’est dans la synergie de
ces sollicitations que l’enfant prend des repères solides en lecture,
acquiert une connaissance intime de sa langue, ainsi qu’un vrai recul
sur elle, et découvre le plaisir quasi musical, vocalique et
consonantique, c’est-à-dire sonore et rythmique, de lire à voix haute,
de prononcer les sons avant de les écrire. L’enfant de CP a besoin, une
grande partie de l’année, de lire à voix haute, même quand il lit seul :
c’est sa voix qui le guide, dans le tâtonnement du déchiffrage, lui
permet de trouver le rythme de la phrase, de la ponctuation, et lui
permet de comprendre ce qu’il lit.
F/ L’attention portée aux lettres muettes
Les lettres muettes peuvent être, au départ, signalées d’une croix sous
la lettre. Elles amusent et étonnent l’enfant, qui leur porte très vite
une grande attention. Un enfant initié aux lettres muettes peut faire
ce genre de remarques, avant la Toussaint : « Il y a un « s » à
« chats », parce qu’ils sont plusieurs. « Il y a « ent » à « jouent »
parce qu’il y a plusieurs chats qui jouent ». « J’écris chat avec un
«t » muet comme dans chaton ». Cette attention portée aux lettres
muettes, l’habitude de lire les mots jusqu’au bout, et donc aussi les
terminaisons des verbes, préparent l’enfant à l’orthographe, à la
grammaire. Dans la progression alphabétique, on peut inclure une
progression grammaticale, où les mots ne sont pas considérés comme des
mots-outils à voir à la volée, mais à étudier pour eux-mêmes (par
exemple lire « il » « elle », et s’exercer à employer ces mots, et pour
un CP, savoir remplacer à l’oral des prénoms, des personnes, des objets,
par ces pronoms ; lire les déterminants « des », « les » …, et savoir
passer du singulier au pluriel). Ces habitudes l’amènent, au fil du
temps, à prendre de meilleurs indices de lecture, qui guideront sa
compréhension (pluriel, genre, temps des verbes).
5/ Méthode alphabétique et compréhension de lecture :
Les élèves déchiffreraient bêtement, mécaniquement, mais ne
comprendraient pas : c’est l’accusation principale portée à
l’alphabétique.
On pourra d’abord douter de la bonne compréhension d’un élève qui n’a
pas lu tous les mots du texte, en a devinés certains, confond « on » et
« an », « bur » et « bru »… En mixte, l’enfant peut croire que le texte
est déjà en lui, puisqu’il lui faut le déduire, et il le réinvente à
partir de quelques mots, il n’a pas conscience que chaque mot compte, en
alphabétique, l’enfant cherche à comprendre le texte après
l’avoir lu, et cela devint quasi simultané quand le déchiffrage est très
aisé . Il y a certes des « hypothèses de lecture » parfois, à
construire dans un texte, des parties implicites mais ce travail fin de
compréhension ne peut être accompli qu’après le texte ait été
parfaitement lu.
La distinction entre mot déchiffrable et mot indéchiffrable est
occultée par les méthodes mixtes, mais la distinction entre mot connu et
inconnu (dont on ne connaît pas le sens) a été également brouillée
pour l’enfant.
L’enfant de CP tombe dans sa lecture sur un mot inconnu, par exemple :
« souffre ». En mixte, un enfant faible va très souvent tenter de
rectifier les choses, de transformer le mot en ce qu’il connaît, une
mauvaise habitude qu’il peut garder très tard dans sa scolarité, voire
toujours : « souffre » va devenir, selon le contexte, « souffle », ou
« sourd ». En alphabétique, l’enfant lit « souffre » et s’étonne : le
mot inconnu est « reconnu comme inconnu », selon l’expression de J.
Reichstadt, dans Lire : la querelle des méthodes . L’enfant
sait ce qu’il sait ou ne sait pas, ses repères intellectuels sont clairs
et il peut aller au-devant des mots inconnus.
Enfin qui a dit que le texte lu en classe ne serait pas expliqué avec
les élèves, que les difficultés de compréhension ne seraient pas
levées ? que les mots inconnus ne seraient pas expliqués ?
Bien sûr, les phrases de Boscher peuvent sembler désuètes, les textes de Léo et Léa
sont parfois alambiqués au début du mins. Mais là encore, il ne faut
pas confondre le lecteur expert et l’apprentissage progressif de
l’apprenti lecteur : au tout début d’année, lire des mots, puis des
phrases, et rapidement des textes très courts, c’est suffisant, d’autant
qu’au bout de 1 mois et demi, si on a passé vite les graphèmes, on peut
commencer à lire des textes un peu consistants. C’est aussi un problème
de supports, plus qu’un problème de méthodes, car peu de manuels
alphabétiques ont porté leur attention envers des textes de qualité et
accessibles aux enfants, et le choix de manuels alphabétiques comportant
des textes est très restreint.
6 / Conclusion
Un certain nombre d’idées fausses ont été véhiculées sur l’enseignement
de la lecture, par un vocabulaire, des dogmes, des tabous et des
interdits, des façons d’enseigner, une formation initiale et continue
idéologique, et une situation de quasi-monopole dans l’édition (qui se
diversifie heureusement peu à peu), au point qu’on ne sait pas si
l’expression « liberté pédagogique » a un sens dans l’apprentissage de
la lecture.
La méthode mixte favorise les enfants à l’aise avec les sonorités de la
parole, ceux qui ont déjà un bagage linguistique et culturel, ceux qui
pourront être emmenés rapidement chez l’orthophoniste et ceux dont les
parents auront les compétences et la disponibilité pour leur apprendre à
lire ou au moins leur aider intelligemment dans leurs devoirs.
Le mot « mixte » évoque la mixité, la conciliation, la modernité,
l’égalité, mais le « mixte » n’a rien d’un compromis : c’est une méthode
inégalitaire, qui accrédite l’idée que certains seront inévitablement
en échec, quand une majorité réussira. Encore cette réussite ne
sera-t-elle que fort relative…
Magali Gaubert, institutrice
Quelques lectures:Comment et pourquoi j’enseigne le BA-BA de Rachel Boutonnet
Et vos enfants ne sauront pas lire…ni compter de Marc Le Bris.
La Destruction de l’école élémentaire et ses penseurs de Liliane Lurçat
La Dyslexie, vraie-fausse épidémie de Colette Ouzilou.
Lire, la querelle des méthodes de Jean-PierreTerrail, Janine Reichstadt, Geneviève Krick.
L’Imposture pédagogique d’Isabelle Stal.