mardi 22 janvier 2013

Apprendre à lire...


 

Apprendre à lire : de nouveaux outils pédagogiques élaborés à partir de travaux de psychologie cognitive

Troisième émission de la série : "Un recteur, une académie, une expérimentation" avec Stanislas Dehaene, Marie-Danièle Campion et Jean-Michel Blanquer
On estime aujourd’hui que 20% des élèves ont des difficultés de lecture. Un problème qui se rencontre en France mais aussi chez nos voisins européens. Pour enrayer ces difficultés, plusieurs expérimentations sont en cours dans les écoles : le programme Lire et le programme P.A.R.L.E.R, basés sur les recherches de psychologues cognitifs. Dès la grande section de maternelle, il semble crucial de préparer les enfants à lecture. Explications dans cette émission en compagnie de Jean-Michel Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire, Marie-Danièle Campion, recteur de l’Académie de Clermont-Ferrand et Stanislas Dehaene, membre de l’Académie des sciences.
 
 
 
« Apprendre à lire est un problème universel », énonce Jean-Michel Blanquer, directeur de l’enseignement scolaire, mais ce n’est pas une fatalité. Pour cela, le projet de recherche P.A.R.L.E.R ( « Parler Apprendre Réfléchir Lire Ensemble pour Réussir ») a été mis en place dès 2005 et est en voie d’extension progressive. Il s’inspire des travaux des psychologues cognitifs dont Stanislas Dehaene fait partie. Si la première académie à avoir participé à ce projet est celle de Grenoble, celle de Clermont Ferrand a rejoint les rangs en 2011 et compte à ce jour pas moins de 35 écoles, c’est à dire 500 élèves, qui participent ce programme. 
Dès la grande section de maternelle, « il s’agit de donner aux enfants un vaste registre lexical par les jeux, les chants.... la grammaire aussi est importante. La combinaison des deux a un impact sur la lecture et l’écriture » explique Jean-Michel Blanquer. « Réfléchir, et lire ensemble », c’est aussi très important ajoute Marie-Danièle Campion, recteur de l’Académie de Clermont-Ferrand.

Pour une généralisation du programme, les académies et les professeurs doivent s’approprier petit à petit ce programme « qui associe tradition et modernité, lucidité et pragmatisme » précise le directeur de la DGESCO. La hache de guerre entre méthode syllabique et méthode globale est enterrée. « Il faut travailler sur le sens mais il ne faut pas opposer pour autant le code et le sens. Les enfants doivent apprendre le principe alphabétique. Le cours préparatoire doit leur permette d’apprendre les syllabes mais parallèlement, ils ont besoin de comprendre ce qu’ils font. C’est la combinaison des deux qui permet la réussite » nous dit Jean-Michel Blanquer. « Et nous voyons bien qu’au moment du passage au collège, les jeunes qui ont les codes mais pas la compréhension, échouent » ajoute Marie-Danièle Campion.
Stanislas Deahene, qui travaille depuis plusieurs années sur les mécanismes corticaux lors de l’apprentissage de la lecture, nous éclaire de ses connaissances : « la lecture est une invention qui nous permet d’accéder à l’aire du langage. Nous avons créé des systèmes de symboles pour reconnaître les combinatoires de ses objets et accéder à la prononciation des mots et leur sens. Nous disposons d’une sorte de « boîte aux lettres du cerveau » pour analyser la chaîne de lettres, les phonèmes, leur prononciation et leur son sens ». Mais pour l’enfant, cette décomposition en phonèmes n’a rien d’évident. Tout est à apprendre, même le sens de la lecture qui se fait de gauche à droite. « Le français fait partie des langues difficiles à lire car elle n’est pas transparente comme l’italien ou l’allemand où toutes les lettres se prononcent. Les jeunes Italiens ne mettent que quelques mois pour apprendre à lire ». 
Le français, lui est plein de particularités. « Les poules couvent au couvent ». Les deux mots sont identiques et pourtant ne se prononcent pas de la même manière... ! Même chose pour le mot « femme », qui se lit « famme »...
« Rien de la lecture n’est évident pour l’enfant. Il faut s’entraîner un peu tous les jours, avec des périodes de sommeil pour consolider l’apprentissage. En ce sens, la concentration de l’apprentissage sur une semaine de 4 jours est une absurdité » poursuit Stanislas Dehaene.
Pourtant, rappelle Jean-Michel Blanquer, la semaine de 5 jours au lieu de 4 existe déjà. « C’est la semaine de 9 demi-journées par semaine que les recteurs et inspecteurs d’académies sont invités à appliquer. Le cadre administratif et juridique le permet déjà. Il faut en effet une bonne répartition du temps comme le dit Stanislas Dehaene, mais jusqu’à présent, le problème n’a pas tellement été un problème d’ordre ministériel, mais un problème de responsabilisation des adultes, localement ».
La complexité de la langue française n’explique pas à elle seule les difficultés que peuvent rencontrer les jeunes élèves dans leur apprentissage. Les méthodes et les outils donnés aux professeurs sont à améliorer et il faut également « travailler avec les éditeurs »ajoute Jean-Michel Blanquer. Le contexte social lui aussi a un fort impact sur l’apprentissage de la lecture.
La place des parents
En cela, le rôle des parents est également primordial. « Pour les parents, être en situation de difficulté d’expression orale et écrite n’empêche pas l’emploi. Du coup, ils ne le vivent pas comme une priorité... » constate Marie-Danièle Campion. C’est une des raisons pour lesquelles le programme PARLER propose aussi aux parents de s’investir dans l’apprentissage de leurs enfants. « Nous avons mis en place la mallette des parents en primaire. Nous allons l’étendre aux parents des enfants en grande section de maternelle » précise Jean-Michel Blanquer.
Au cours de cette émission, nous vous proposons d’écouter le témoignage de Fabienne Dupin, professeur des écoles à l’école maternelle de la Mouteyre à Brive Charensac, en Auvergne. Elle a mis cette année en place « le programme lecture » qui dépend directement du programme P.A.R.L.E.R. Ce programme prône un enseignement structuré des compétences, nécessaires à l’apprentissage de la lecture en CP... une forme de préparation à la lecture en d’autres termes. « Cet enseignement tourne autour de 3 thématiques : 
- la conscience phonologique. C’est un travail oral en petit groupe sur les rimes, les syllabes, les sons. 
- la compétence de la compréhension. Il s’agit d’affiner, d’investir un vocabulaire. 
- la compétence du code alphabétique : les élèvent travaillent sur la lettre, comme se prononce-t-elle, le son qu’elle fait et son écriture en cursive »
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Bilan à mi parcours : « Au mois d’avril, 1/3 de la classe décode, déchiffre là où l’année passée seulement quelques élèves de grande section arrivaient à ce même niveau. Et puis cette fois-ci, nous n’avons pas d’enfant en grosses difficultés scolaires. Ils prennent de l’assurance, gagnent en estime d’eux-mêmes. C’est important aussi ».
Ce témoignage révèle deux éléments phare pour Marie-Danièle Campion et Jean-Michel Blanquer :« l’importance cruciale de la maternelle et l’importance de la personnalisation des parcours selon chaque enfant ».