— Technique d'utilisation du boulier, par Rosalie Hattemer >>>
— Le boulier compteur de Marie Pape-Carpentier (étude de M. JC Régnier)
— En photo ci-contre, le boulier du Cours Hattemer
— "On appelle ainsi des instruments employés dans les écoles maternelles et dans les classes élémentaires pour initier de tout jeunes enfants à la première pratique du calcul.
— Le boulier compteur de Marie Pape-Carpentier (étude de M. JC Régnier)
— En photo ci-contre, le boulier du Cours Hattemer
— "On appelle ainsi des instruments employés dans les écoles maternelles et dans les classes élémentaires pour initier de tout jeunes enfants à la première pratique du calcul.
L'idée de faire compter par les enfants des objets matériels avant de leur parler des nombres abstraits et des chiffres qui les représentent est trop naturelle pour ne pas être aussi ancienne que la civilisation. Elle a fait inventer dès l'antiquité des abaques plus ou moins perfectionnés. Chez nous, depuis la fin du moyen âge, on exerçait les enfants, comme le porte le titre de plusieurs vieux livrets d'école, à « sommer avec les jets » (jetons) ; Montaigne dit quelque part : « Je ne sais compter ni à jet ni à plume ».
Cependant il paraît bien avéré que c'est de Russie que nous est venu au commencement du dix-neuvième siècle le type du boulier proprement dit. Le boulier russe primitif se compose de quelques tringles horizontales dans lesquelles sont enfilées des boules, comme en ont les joueurs de billard pour marquer les coups gagnés par chacun d'eux. On retrouve encore chez plusieurs peuples ce boulier tout simple, qui ne peut servir absolument qu'à apprendre aux enfants la série des dix premiers nombres.
Peu à peu on s'est demandé s'il ne serait pas possible de faire un meilleur emploi de cet appareil, et surtout de s'en servir pour apprendre la numération dans le système décimal. Aux tringles horizontales on a essayé de substituer des tiges verticales où les boules s'enfilent de la même façon.
En France, Mme Pape-Carpantier a fait mieux encore, par une construction ingénieuse qui réunit les avantages des deux dispositions. Les tiges de son boulier-numérateur — appareil aujourd'hui trop répandu pour qu'il soit besoin de le décrire — se recourbent au milieu à angle droit de manière à présenter une partie verticale, l'autre horizontale. Il n'y a que 9 boules sur chaque tige, mais suivant qu'on veut figurer 1, 2, 3, 4 unités, on fait descendre dans la partie verticale 1, 2, 3, 4 boules en laissant les autres en réserve dans la partie supérieure. De plus, ces boules ne sont pas d'égale grosseur : il a été impossible de leur donner la progression de volumes qu'exigeait le système décimal, mais c'est déjà une première et très utile leçon pour l'enfant de voir que les unités sont plus petites que les dizaines, celles-ci plus petites que les centaines, etc. Avec cet appareil on fait des exercices de calcul par la vue qui peuvent très bien embrasser les quatre règles. Le résultat le plus important est d'habituer l'enfant à bien comprendre le sens et la nécessité du zéro, indiqué par l'absence de boules dans la tringle représentant un certain ordre d'unités.
D'autres bouliers ont été depuis imaginés, la plupart reproduisant l'idée principale du boulier-numérateur de Mme Pape. On a par exemple essayé de soustraire à la vue de l'élève les boules qui n'entrent pas à un moment donné dans le calcul ; pour cela la tringle verticale est recourbée d'avant en arrière, les boules qu'on ne veut pas considérer glissent dans la partie recourbée et tombent derrière une planchette destinée à les masquer. Chaque exposition donne naissance à une multitude de bouliers prétendus nouveaux et qui se recommandent par des combinaisons quelquefois ingénieuses ; le détail en importe peu ici.
Ce qui importe, au contraire, c'est de déterminer en quel sens et dans quelle mesure l'emploi du boulier doit être approuvé. Il a rencontré des adversaires sérieux. L'un d'eux, M. Rambert, professeur à l'Ecole polytechnique de Zürich, disait à propos des bouliers figurant à l'Exposition universelle de Vienne (1873): « Le boulier corrompt l'enseignement de l'arithmétique. La principale utilité de cet enseignement est d'exercer de bonne heure, chez l'enfant, les facultés d'abstraction, de lui apprendre à voir de tête, par les yeux de l'esprit. Lui mettre les choses sous les yeux de la chair, c'est aller directement contre l'esprit de cet enseignement. La nature a donné aux enfants leurs dix doigts pour boulier ; au lieu de leur en donner un second, il faut leur apprendre à se passer du premier. On dit que le boulier donne aux maîtres beaucoup de facilité pour ses explications. Je le crois. On a vite compté sur le boulier que 10 et 10 font 20 ; mais l'enfant qui n'a fait que le compter sur le boulier a perdu son temps, tandis que celui qui l'a compté de tête a fait le plus utile des exercices. Il faut un complément et un correctif à l'enseignement par la vue ; c'est au calcul mental qu'il convient de le demander. »
Le sagace et spirituel critique a peut-être bien confondu ici les bouliers avec les machines à calculer. Nous avons fait ailleurs (Voir Arithmomètre) nos réserves expresses sur les machines à calculer, si ingénieuses qu'elles soient. Un juge d'une grande autorité, M. Sonnet, a parfaitement dit : « Le calcul mental est la base de toute instruction en ce qui concerne le calcul ; toute machine qui a la prétention de suppléer au calcul mental va contre le but de l'enseignement ». Mais le boulier n'est pas un arithmomètre : il facilite le travail de l'élève, mais il ne le supprime pas ; et d'ailleurs il ne s'adresse qu'aux tout jeunes enfants,
Comme l'a bien fait observer M. A. Lenient dans une série d'études sur les bouliers, « en montrant à l'enfant, en lui faisant voir les résultats d'une addition, d'une soustraction, d'une multiplication ou d'une division, le boulier diminue les efforts et la fatigue de l'enfant ; mais, par le témoignage des yeux, il grave profondément dans son esprit et dans sa mémoire tous ces résultats qu'il lui importe de conserver. Le boulier prépare, initie au calcul mental : nous n'avons jamais pensé qu'il pût le remplacer. »
On veut que l'enfant s'accoutume à « voir de tête », c'est très bien ; mais encore faut-il qu'il ait appris d'abord à voir avec ses deux yeux. Avant l'abstrait le concret, avant la formule l'image, avant l'idée pure l'idée sensible : c'est la loi générale de la saine pédagogie.
Maintenant, pour l'usage exclusif du premier âge, est-il vrai que le boulier soit un meuble superflu, que le boulier naturel qui se compose des dix doigts soit préférable ou soit suffisant? Nous ne le croyons pas. Le calcul sur les doigts a plus d'inconvénients que le boulier, comme l'a fort bien montré M. Lenient: « D'abord on ne peut pas disposer de sa main comme d'un objet étranger ; puis, apprendre aux enfants à calculer sur leurs doigts présente certainement un danger : les élèves continueront à s'en servir longtemps encore après qu'on les aura exercés à calculer de tête. C'est donc justement un obstacle au calcul abstrait que préconise M. Rambert. Le boulier est d'un usage bien plus commode. Facile à manier, il se prête à toutes les combinaisons possibles, et permet au maître de démontrer les diverses opérations de l'arithmétique. Dans une classe nombreuse, c'est même, de tous, le meilleur moyen de démonstration. »