mardi 4 septembre 2012

"QU'EST-CE QU'UN BON PROF ?"

Les experts Europe 1, émission du 3 septembre 2012 >>>>

En tout début de l'émission (1:30 à 6:10), le témoignage de l'historien Franck Ferrand interrogé par la journaliste Héléna Morna. En voici une transcription :

Transmettre, partager une passion, c'est un peu ce que vous faites tous les jours sur Europe 1. Vous n"avez jamais songé à devenir prof quand vous étiez étudiant ?

En vérité vous êtes en train de me faire prendre conscience d'une vocation manquée. J'avais peut-être ce don de transmettre et cette volonté, en quelque sorte, d'emmener les autres vers mon univers. C'est ce qu'on demande à un bon prof je crois. C'est de transmettre cette fibre. J'avais peut-être ça en moi mais je ne l'ai pas utilisé ou en tous cas pas de cette façon là…

Est ce qu'un prof a marqué votre parcours personnel ?

Oui il y en a plusieurs. Je dirais qu'on les compte sur les doigts d'une main les très grands profs qu'on a pu avoir dans un parcours scolaire. Nous avions la chance, à cette époque, d'avoir des professeurs de grande vocation. C'est le cas encore aujourd'hui, heureusement. Et je sais que parmi ceux qui nous écoutent, il y en a qui ont toujours et qui partagent ce feu sacré. Simplement ils n'ont peut-être pas les mêmes problématiques et surtout ils ont un programme à respecter et des méthodes pédagogiques à mon avis épouvantables à suivre. Et donc il faut, pour être un bon prof, commencer par s'écarter d'un certain nombre d'indications pédagogiques. Et ça malheureusement je crois que c'est un des grands problèmes qui minent notre système pédagogique.

Pour répondre à votre question, est-ce que j'ai eu de bons profs ? Oui. Il y en a deux que j'aimerais citer, parmi quelques autres.

C'est d'abord mon institutrice. Ça c'est extraordinaire. Je crois qu'on dit professeur des écoles Maintenant. C'était une institutrice au sens propre. Elle était tout à fait extraordinaire… Elle s'appelle Madame Giraudeau. Elle nous a tous marqués, je crois vraiment. Moi, j'étais un cancre disons-le ; je passais mon temps au piquet dans la cour ; c'était horrible. Et du jour au lendemain mes parents ont décidé de me changer d'école. Je débarque chez elle, en CE2. Eh bien, par une sorte de coup de baguette magique, elle m'a donné le goût de l'école, et surtout et mieux encore pour ce qui me concerne, elle m'a donné la passion de l'histoire, elle m'a transmis le virus. Je me rappelle que c'était tous les mercredis après-midi… elle fermait les rideaux de la classe et allumait un projecteur avec une sorte de film rhodoïd. Et elle nous diffusait sur un écran blanc des scènes de l'histoire. On était tantôt à Bouvines, tantôt dans la Cours de François 1er. Ça m'a transformé, on peut dire que ça a changé ma vie ; donc merci Madame Giraudeau.

Et puis l'autre, beaucoup plus tard, c'était au lycée, en seconde première, terminale, un professeur d'anglais, Mademoiselle Jeudy, qui alors était l'enseignante telle qu'on peut l'imaginer. Alors vous savez, vous connaissez le film Le Cercle des poètes disparus, c'était le cercle des poètes disparus tous les jours. C'était vraiment ce genre d'enseignantes totalement anticonformistes qui prennent les choses à bras le corps, qui adorent tellement leur discipline que ça devient une passion pour vous aussi. Alors vraiment merci Mademoiselle Jeudy parce que non seulement je pense qu'elle m'a appris l'anglais -c'était quand même sa mission- mais surtout elle m'a donné un autre regard sur la vie à un âge, ça c'est essentiel, où on a besoin d'avoir quelques repères et quelques tuteurs.
...

Les deux étaient très sévères, surtout Madame Giraudeau qui était d'une sévérité toute particulière. Et je sais que ça rebutait une petite partie des élèves. Mais il fallait aller au delà et découvrir que derrière cette sévérité il y avait une exigence et une volonté de tous nous emmener vers autre chose, vers une excellence. Vous vous rendez compte, une institutrice qui à de tous jeunes enfants fait découvrir la musique classique, leur fait littéralement aimer le théâtre, et puis l'histoire, bien sûr. C'était extraordinaire.